Les peintres surréalistes sont des artistes rares. Souvent leurs œuvres, fantasmes et fantaisies, traversent le temps et occupent nos esprits avec une étonnante fraîcheur et pertinence longtemps après leur création. Tels les rêves qui les ont inspirés, les mystères de leurs tableaux possèdent un langage propre, une esthétique, une expression et une atmosphère, une poésie singulière dans le fonds comme dans la forme. Dans le surréalisme, par principe, règle, et par goût, il ne s’agit pas de représenter le réel mais de susciter une émotion poétique par l’image.

Parmi les peintres notables dont nous aimons à nous rappeler du surréalisme, ce courant artistique majeur du début du XXème siècle, le plus célèbre, énigmatique et représentatif en même temps, est le génial et facétieux catalan Salvador Dali (1904 – 1989). Avec une technique académique digne des plus grands maîtres de la Renaissance (Léonard de Vinci ; Raphaël ; Michel-Ange ; …) et du Baroque (Velasquez ; Vermeer …) qu’il estimait hautement, réalisant des trompes l’œil si parfaits, précis, réalistes, que s’ils ne représentaient pas des images improbables, le spectateur croirait à leur réalité, les œuvres de Dali nous ouvrent des mondes étranges, fantasques et complexes, visuellement superbe, avec un rendu exceptionnel des couleurs et des textures, mais qui plongent vite le spectateur dans un labyrinthe d’idées et de pensées purement artistes pour certains, existentielles pour d’autres, et toujours dans un tourbillon de questions, réflexions, étonnements et suppositions qui restent le plus souvent sans réponses.

Outre le fascinant et virtuose maître avant-gardiste Dali, nos mémoires collectives affectionnent également le belge René Magritte (1898-1967) qui laissa pour sa part une empreinte picturale surréaliste différente, plus mentale et moins psychique. En créant des images explicites qui peuvent parfois avoir un côté un peu naïf, fleur bleue, premier degré, mais toujours fortement symboliques et poétiques, son style et son talent s’amuse de jeux de mots ou jeux de sens. En composant souvent des images humoristiques, voir absurdes, avec des personnages récurrents, des mots, des idées, et en jouant sur le décalage entre l’objet et sa représentation, moins axé sur l’inconscient, l’univers de Magritte est aisément identifiable. De même que chez Dali, dans cette peinture plus spontanée, la femme y est muse sublimée, complice adorée, et, peinte en abondance mais avec pudeur, elle y épouse toutes les inventions et variations du processus créatif avec délectation.

Autant le sens des tableaux de Magritte semble relativement accessible et très net à notre compréhension, autant les tableaux du tunisien Sadok Mejri (1941 – 2017), l’un des très rares artistes du genre en Tunisie, nous rappellent que les surréalistes proposent avant tout un onirisme et une liberté créative à chaque fois très personnelle et intime. Ainsi, loin des références fondatrices des théoriciens et mentors littéraires du mouvement que furent Guillaume Apollinaire (1880 – 1918), qui nomma surréaliste cette démarche artistique innovante dés 1917, et André Breton (1896 – 1966), avec son Manifeste du surréalisme en 1924, distant dans l’espace et le temps des prolifiques milieux bohèmes parisiens, alors capitale mondiale de l’art, Sadok Majri aborde le surréalisme avec ses propres déterminants, ses propres obsessions, et ses propres incarnations. Une silhouette fine omniprésente, sans visage, sans âge, parfois seule, d’autres fois démultipliée, jamais complètement semblable à elle-même, traverse à la manière d’une pièce de théâtre en d’infinis actes, ou d’un roman graphique feuilletonant de folles situations, un grand nombre de ses tableaux. Comme autrefois les muses et épouses de Dali (Gala) et Magritte (Georgette) habitaient et faisaient sens dans leurs œuvres, ces « aînés » qu’il vénérait tant, la femme effilée, silencieuse et sans visage de Majri personnifie l’âme en quête d’évasion, de magie et d’émancipation. Souvent nue, parfois parée de margoums, sa mélancolie, sa langueur, son attente lascive et son calme apparent, elle semble illustrer de toile en toile une difficulté d’être et de devenir. Par ailleurs décorateur et scénographe, il parsème ses toiles d’indications codifiant la société contemporaine, ce jeu d’échecs mettant en scène les tensions et dualités complexes entre identité et universalité, entre intériorité et extraversion, entre le quotidien et le rêve, entre permanence et changements, entre soumissions et rébellions, entre bonheurs et frustrations. Et pourtant, finesse, élégance, raffinement et épure des traits, les couleurs choisies par sa palette restent le plus souvent douces, discrètes, agréables, ne choquent guère, et reflètent le caractère sensible et profondément esthète du plasticien Majri lui-même. Ainsi, à force de dessiner son désir d’éternité, comme la plupart des créatifs, cet ardent désir intérieur que seul l’art semble pouvoir assouvir, Sadok Majri délivre au bout de son riche parcours, une œuvre unique, original, et trouve désormais sa juste place dans l’Histoire des Beaux-arts tunisien en tant que principal représentant national du surréalisme.

Exposition « A Sadok » (hommage à l’artiste-peintre tunisien Sadok Majri*) du 2 au 17 Février 2019 chez Galerie Saladin (Sidi Bou Saïd).

https://www.facebook.com/events/351857835638390/

Dimanche 10 Février 2019 de 11H00 à 14H00 è Rencontre-hommage autour de la vie d’artiste de M.Sadok Majri (1941-2017) animée par M. Abderrahman Ayoub, Spécialiste du Patrimoine Immatériel, Editeur (L’Or du Temps) et ami de l’artiste, et Mme Salma Majri, fille de l’artiste. Peinture, Théâtre, Cinéma, Télévision, Poésie, et plus encore, seront évoqué autour du parcours et de la personnalité de Sadok Majri. Entrée Libre. Brunch offert.
https://www.facebook.com/events/245372399697838/

DMM 19

*Mohamed Sadok Majri (né en 1941 et décédé le 23 février 2017) est un artiste peintre tunisien classé dans le courant des Surréalistes. Il a à son actif de nombreuses expositions en groupe depuis les années 70 et des expositions personnelles :

  • Galerie Yahia 1993
  • Galerie Medina-Tunis 1996
  • Espace Kén 1999 et 2011
  • Galerie Créaculture Sfax 1998
  • Strasbourg 1999
  • L’espace Caliga 2007
  • La Maison des Arts au Belvédère 2016

 

Références : http://www.artmajeur.com/fr/artist/sadok-majri/collection/sans-titre/1509199

https://www.facebook.com/Lartiste-Peintre-Sadok-Majri-278021628473/

http://www.letemps.com.tn/article/96685/les-femmes-de-mejri

Diplômé de l’Ecole des beaux Arts de Tunis, spécialité Décor de Théâtre (Prix Présidentiel), Sadok Majri a aussi été décorateur et scénographe à la Télévision Tunisienne depuis 1968 sur plusieurs films et plusieurs pièces de théâtre. Sadok Majri est aussi l’auteur de plusieurs poèmes.

 

GALERIE SALADIN (Sidi Bou Saïd)

4 Avenue H.Bourguiba, 2026 Sidi Bou Saïd.

Ouvert tous les jours de 15h00 à 20h00.

Visites guidées gratuites sur demande pour adultes et enfants

M.Ridha SOUABNI, Directeur-Fondateur

Tél 98 264 110

contact@galeriesaladin.com

https://www.facebook.com/GalerieSaladin.sidibousaid/

Entrée Libre.